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Education du Futur : Data

Par Carine LAVALLADE, Leader expertise smart education chez Acadys

J’ai eu la chance d’assister au Think Education & Recherche 2020 qui s’est déroulé le 4 février dernier à l’Institut Catholique de Paris cette année. Ce rendez-vous annuel dédié à la réflexion sur l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation en France est organisé par News Tank© depuis 2016. Il propose une série de conférences, séminaires, tables rondes, échanges, animés par des experts et des professionnels du monde de l’éducation et de la recherche. On y retrouve également quelques exposants éditeurs de solutions informatiques à destination du domaine de l’enseignement.
Dans cette série de 3 billets, je partage avec vous mon retour d’expérience sur les sujets auxquels j’ai participé et que j’ai particulièrement appréciés.

Un évènement phare pour les professionnels de l’éducation

Le thème de cette 5e édition était : « Expérimenter pour innover : l’Enseignement Supérieur et Recherche invente son futur ». Les thématiques sous-jacentes portaient sur :
  • L’arrivée des premiers établissements expérimentaux,
  • Le besoin de financement pour réaliser des expérimentations,
  • La nouvelle loi de programmation pour la recherche,
  • L’impact du numérique avec les retours d’expérience de ceux qui font évoluer les modèles pédagogiques.
Cette journée d’échanges donne de belles perspectives sur l’avenir de l’enseignement supérieur dont l’envie d’expérimenter et de réinventer ses institutions est bel et bien réelle. Ce, afin qu’elles répondent aux enjeux de demain, et à la soif d’apprendre et de comprendre de la génération Z.

Le lien entre l’accès aux études supérieures et l’emploi

Ce premier billet est consacré à la première table ronde à laquelle j’ai participé : « L’accès à l’enseignement supérieur favorise-t-il l’accès à l’emploi ? Réalités internationales et enjeux pour la France ». Les animateurs par Pierre Tapie et Hervé Biausser du cabinet Paxter ont posé la question du lien entre l’accès à l’enseignement supérieur et l’emploi.

C’est avec beaucoup d’intérêt que je me suis rendu à cette table ronde. En effet, elle fait écho à l’une des missions de l’Enseignement : « fournir » à un pays ou un territoire les compétences humaines dont il aura besoin demain pour soutenir le fonctionnement quotidien de sa société et son développement stratégique. Aussi il doit y avoir un lien de cohérence entre les besoins prévisionnels (emplois) de demain et la politique formation.

Scénario d’une politique de formation idéale

Ainsi, la politique de l’éducation doit se refléter à travers la diplomation. Elle peut par exemple se poser les questions suivantes :

  • Quelle est notre vision d’avenir pour notre territoire ?
  • Quelles seront les compétences à pouvoir pour répondre aux besoins ?
  • Qui devons-nous former et à quoi ?
  • Comment motiver et valoriser les formations correspondantes ?

Par exemple, si dans notre vision du territoire est d’avoir une cohabitation humain/nature et donc que la protection de l’écosystème naturel est un enjeu, on veillera à intégrer dans les formations des dimensions autour du développement durable et de l’écologie, et il y aura plus de diplômés sur ces domaines de compétences.

L’équation diplôme et emploi : une hypothèse française à challenger

L’hypothèse

« Plus il y aura de gens diplômés, plus il y aura de gens qui auront un emploi »

C’est une hypothèse française qui a constitué le fil rouge de la présentation de l’étude de Paxter. Cette hypothèse est un pilier de la politique d’éducation telle que menée dans notre pays.

Méthodologie de Paxter

Paxter a mis au défi cette hypothèse de manière neutre (sans a priori si elle est vraie ou fausse) par une démarche basée sur l’analyse de données. Ces travaux autour de la data incluent, entre autres, l’identification des sources de données, la sélection de données fiables, la catégorisation et comparabilité, le croisement des données, l’analyse, etc. Ils ont retenu 48 pays de tous continents pouvant fournir des données fiables telles que le taux d’accès à l’enseignement supérieur, le taux de jeunes étudiants de 18 à 23 ans, le taux de chômage général…

Plusieurs observations nous ont été présentées. Voici un résumé rapide des messages à retenir :

Les conclusions

  • À taux d’accès à l’enseignement supérieur équivalent, le taux de chômage général est diversifié d’un pays à l’autre et
    réciproquement. Il n’y a donc pas de corrélation entre les deux variables.
  • À taux d’accès des jeunes (16 à 24 ans) à l’enseignement supérieur équivalent, le taux de chômage des jeunes est aussi diversifié d’un pays à l’autre et réciproquement.
  • Dans un pays donné, le fait d’être diplômé par rapport au fait de ne pas l’être.
  • Le diplôme a un effet positif dans les pays où le PIB est élevé (pays riches), surtout si le chômage est élevé.
  • Le diplôme protège du chômage quand le chômage est élevé. Dans les pays riches où le taux de chômage est faible (ex. :
    Japon, Corée, Suisse), il n’y a pas « d’effet diplôme ».
  • Le diplôme a un effet négatif dans les pays où le PIB est faible (pays pauvres), même si le taux de chômage est élevé. Il
    éloigne les jeunes diplômés du marché de l’emploi. La structure sociale n’est pas adaptée à les accueillir.

La valeur du diplôme : tableau d’une évolution

L’étude s’est ensuite intéressée à l’évolution de la valeur du diplôme en France.

Les grandes observations

Le taux de diplômés a augmenté en France, mais les salaires de ces diplômés ont diminué. La différence est très visible pour les CAP et BEP. L’effet concurrence sur le marché de l’emploi a « joué son rôle ». Il y a eu un déclassement à l’emploi qui touche l’ensemble des générations.

 Les jeunes sont de plus en plus diplômés, mais ils arrivent de moins en moins à avoir l’emploi espéré.

  • La stratégie de « pousser » les jeunes à aller le plus loin possible, sans proposer de sorties cohérentes avec la demande de l’économie, a dévalorisé la valeur des diplômes. La situation de la France a reculé sur le lien entre le diplôme et la qualité de l’emploi.
  • Les pays qui ont établi une stratégie pour adapter l’accès à l’enseignement supérieur à la réalité du marché de l’emploi
    ou un taux de chômage plus faible (Suisse, Singapore, Grande Bretagne).
  • Un pays qui se développe économiquement a besoin de la main-d’œuvre qualifiée correspondante.

Un constat sans appel

Cette étude a permis de conclure sur une analyse :

Augmenter de plus en plus l’enseignement supérieur ne contribue pas à développer l’économie. Ce sont d’autres phénomènes qui gouvernent ce type d’éléments.
Paxter

D’après les retours de Paxter, ce message bien que s’appuyant sur des faits, est difficile à faire passer et n’est pas toujours bien reçu. C’est d’ailleurs la première fois qu’ils en font un exposé public, car l’écoute semble meilleure depuis quelque temps.

Le retour du public et les questions sur la présentation de l’étude

L’étude s’est ensuite intéressée à l’évolution de la valeur du diplôme en France.

Affiner l’étude (une fois les données disponibles)

Il serait intéressant d’affiner l’étude selon quelques axes :

  • Les disciplines de diplôme et non uniquement sur la diplomation d’une manière générale ;
  • Le caractère professionnalisant ou pas des diplômes : les pays à faible PIB qui ont peu de moyens accompagnent rarement vers l’emploi les étudiants, le volet professionnalisant est faible ;
  • Les types de cursus pour voir le positionnement de la France vs les autres pays.
  • L’origine des emplois : création de start-up ou pas par les diplômés. (C’est ma question qui semble avoir plu aux animateurs 🙂 ) ;
  • Les intervenants soulignent le caractère culturel de s’imaginer avec un futur de salarié, qu’un futur d’entrepreneur, et également le caractère schumpetérien de la question (le numérique crée-t-il plus d’emploi qu’il en détruit ?).

L’approche d’un sociologue présent dans la salle

  • La situation des non-diplômés s’est encore plus dégradée que celle des diplômés.
  • Le choix éducatif d’un étudiant est aussi très social et influencé par le comportement des familles. Le filtre culturel est fort.

Autres remarques

  • La France reste un bon modèle pour formalisation professionnalisante (faculté de médecine, écoles d’infirmières, etc.) ;
  • Les démarches pédagogiques innovantes doivent permettre d’accompagner encore plus loin l’étudiant dans la
    professionnalisation ;
  • Les universités n’ayant pas la possibilité de sélectionner leurs étudiants, il faut absolument mieux orienter les jeunes après le lycée pour éviter l’orientation par défaut qui est généralement suivie par le décrochage. Il n’est pas acceptable de laisser un étudiant décrocher. L’insertion professionnelle ne peut pas se concevoir sans l’orientation.

Le data driven, outil pour les politiques éducatives d’avenir

J’ai trouvé cette table ronde intéressante et riche en échanges. Ma dérivation professionnelle d’architecte d’entreprise fait que j’y vois forcément un potentiel énorme du data-driven pour le système éducatif. En clair, il s’agit de s’appuyer sur les données (données du marché de l’emploi, données du monde de l’éducation) pour améliorer la politique éducative, pour améliorer la qualité du système éducatif, pour que l’éducation puisse répondre aux besoins de demain (par le prospectif et le prédictif).

Aussi, il est important d’identifier les données dont nous avons besoin pour mener ces politiques de grande échelle, de les générer, de les collecter et de les stocker pour les exploiter par la suite.

On voit bien que l’étude a dû se limiter aux données disponibles et mérite d’être affinée. En faisant en sorte que des données plus fines soient disponibles (types de disciplines, …), l’orientation à donner à la politique pourra aussi être plus précise. Bien sûr, il ne faudra pas être dans une logique de pure production de « ressources utiles », mais il est important pour les générations à venir de sécuriser la valeur de leurs apprentissages.

Le lifelong learning et la formation à la carte vont dans le sens de cette revalorisation dans un monde en mouvement. Ils permettent un croisement des disciplines qui peut ouvrir la voie à plus de possibilités et d’esprit d’innovation ainsi qu’une alternance et une mixité plus forte entre l’académique et la professionnalisation.

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Président Directeur Général

Christophe Legrenzi

Expert en Stratégie et Innovation Numérique

Ingénieur en informatique et Docteur en sciences de gestion, auditeur certifié en informatique et gouvernance (CISA, CGEIT, CRISC), Christophe Legrenzi est spécialisé dans les domaines de la stratégie et de la performance des organisations numériques.
Christophe Legrenzi est vice-président du club européen de la gouvernance des systèmes d’information et délégué pour la France. Il est administrateur de l’ANDESE (Association Nationale des Docteurs en Economie et Sciences de Gestion) et de l’AFAV (Association Française d’Analyse de la Valeur). Il est aussi Chercheur associé à l’International School of Management (ISM), Professeur Visiteur à l’Ecole des Mines et Conseiller du Commerce Extérieur de la France.
Il est conférencier international et l’auteur de nombreux ouvrages comme les « Best Practices Revues et Corrigées » 3ème Éditions 2016, le « Contrôle de Gestion des Systèmes d’Information » et le « Tableau de Bord de la DSI » (qui a obtenu le Prix du Meilleur Ouvrage Informatique francophone en 2011) parus chez Dunod, la « Cité du Futur », ainsi que les « nouveaux schémas directeurs des systèmes d’information ».